Hommage au doyen René Chiroux : un homme d’exception et une vie dédiée à la transmission et à l’engagement
Il est des êtres d’exception, des personnalités rares qui marquent à jamais ceux qui ont le privilège de les croiser. Le doyen René Chiroux était de ceux-là. Celui qui nous a quittés, le 10 janvier 2025, était une personnalité étonnante, remarquable et impressionnante, un ? personnage ? qui laisse une empreinte indélébile au c?ur de notre université, de notre région et bien au-delà. Il les a fait rayonner, dialoguer et il a mis en lien une multiplicité d’acteurs, particulièrement en local et à l’international. Ce grand universitaire, homme d’engagement et humaniste accompli, a incarné, tout au long de sa vie, la transmission du savoir, l’ouverture au monde et une bienveillance sans faille. Il était à la fois un professeur exceptionnel et un homme politique et d’engagement.
Un professeur remarquable et inspirant
Le doyen René Chiroux était un grand professeur par ses qualités pédagogiques et la qualité de ses enseignements. Professeur éminent de droit constitutionnel et de relations internationales, le doyen René Chiroux a formé et transformé des générations d’étudiants, depuis 1960, à la faculté de droit d’Alger, et 1962, à la faculté de droit de l’Université Clermont 1, en leur ouvrant les portes de la connaissance et de l’analyse, du droit et de la politique, avec une érudition exemplaire et une simplicité désarmante. Sa pédagogie, son éloquence captivante faisaient de ses cours des moments inoubliables. Les amphithé?tres bondés de première année ou les salles plus intimistes des années supérieures pouvaient comme vibrer sous la magie de son verbe et de son être. Il conjuguait avec maestria la rigueur intellectuelle et les anecdotes vivantes. Le droit, exprimé par sa passion et sa finesse d’esprit, devenait intelligible, accessible et passionnant. Beaucoup le décrivent comme celui qui leur a donné le go?t du droit et de la pensée critique. Il leur donnait aussi l’envie de poursuivre son cours en-dehors du cours, par exemple par des jeux sérieux, des jeux de r?le. En toge ou avec son n?ud papillon et son costume parfaitement ajusté, il ne donnait pas un cours mais il racontait le droit et la vie politique comme dans une sorte de temps suspendu. Les étudiants étaient charmés, par son enthousiasme, sa voix à nulle autre pareille, sa gestuelle, tout son être, sa distinction et son intelligence. Des cours se finissaient sous les applaudissements, tellement le doyen René Chiroux enveloppait et emmenait son auditoire avec lui.Cette passion et cette qualité de pédagogue hors du commun, il les a incarnées de génération en génération. On l’écoutait et on savourait chacun de ses mots. Il subjuguait et il transportait son auditoire. Il avait aussi ce don incroyable d’occuper l’espace. Et sa mémoire était remarquable, pas seulement pour les cours déclamés sans aucune note mais aussi pour nommer les étudiants. Il s’intéressait à eux et les connaissait. Il avait aussi cette capacité de rendre chacun meilleur et plus intelligent. Il a transmis le désir de comprendre, d’apprendre, d’analyser et de penser. Il était capable d’enseigner aussi bien le droit constitutionnel, les relations internationales que le droit pharmaceutique et ceci avec la même faconde éloquente et plaisante.
Il était un grand professeur par sa capacité d’écoute et sa disponibilité. Il était souvent sollicité. Il était toujours présent. Il avait le respect de chacun. Il se caractérisait aussi par sa capacité à se ma?triser, à garder son calme en toute circonstance et à désamorcer le conflit. Il se distinguait encore par son engagement collectif au sein de l’Université dont celui de premier vice-président, de directeur du DEA de droit public et évidemment de doyen. Doyen respecté de la Faculté de droit et de sciences politiques de 1976 à 1982, René Chiroux a ?uvré sans rel?che pour faire rayonner la faculté et l’établissement. Et, pour tous, il est resté Monsieur le doyen alors même qu’il n’exer?ait plus lesdites fonctions. C’est également en 1976 qu’il est devenu professeur des universités après avoir été chargé de cours, ma?tre assistant puis ma?tre de conférences.
Convaincu de l’importance des échanges internationaux, il a tissé des liens solides avec des universités étrangères, favorisant la coopération et le dialogue. Homme d’ouverture et de convivialité, il a aussi su attirer des chercheurs et enseignants de renom, enrichissant résolument notre communauté académique. Il était un grand professeur par sa capacité à relier les personnes et les institutions. Il l’était par sa capacité à diriger des thèses avec des doctorants du monde entier. Près de 50 ont été soutenues depuis 1985 et il y a toutes celles qui ont précédé. Il était un directeur de thèse présent, attentif, qui dirigeait et soutenait les doctorants et qui a propulsé les nouveaux docteurs vers de belles carrières en national et à l’international.
Le doyen René Chiroux a marqué le monde universitaire par une activité de recherche ininterrompue pendant sa carrière, enrichissant de manière significative des domaines variés des sciences juridiques et politiques. Sa thèse a ouvert la voie d’un travail de recherche prolifique et de grande qualité intellectuelle et stylistique. Elle a été soutenue en 1960, à l’Université d’Alger, l’université où il a réalisé son cursus académique en droit et dont il a été lauréat de la faculté de droit. Sa thèse s’est consacrée à l’étude de l’administration locale en Algérie. Cette thèse, sur les facettes de l’administration de son pays natal, témoigne de son attachement aux questions territoriales et aux enjeux politiques locaux. Ce n’était là qu’un premier jalon à une carrière marquée par des contributions majeures à l’analyse des régimes politiques, des partis politiques, de la vie politique nationale et locale, ainsi qu’à l’étude de figures historiques.
Ses travaux ont couvert une multitude de thématiques, de l’extrême droite sous la Cinquième République avec la publication d’un ouvrage majeur en 1974, aux institutions de la Cinquième, la vie politique nationale et locale, les partis politiques, les élections locales, le Bourbonnais, en passant par des thématiques internationales et des études sur des zones géographiques comme l’Afrique et des ?tats variés : Brésil, Belgique, ?tats-Unis, Allemagne... Il a également exploré des sujets plus spécifiques comme la législation pharmaceutique ou le statut des personnels civils de la Défense nationale, prouvant une curiosité intellectuelle sans limite.
Ses nombreuses publications et son r?le de chroniqueur à La Revue administrative ont renforcé son influence. Il a contribué à diffuser ses travaux en France et à l’international, collaborant avec des chercheurs et formant des générations de doctorants, qui ont poursuivi son héritage scientifique.
Le doyen René Chiroux était encore un intellectuel au service du débat public. Il était remarqué par son esprit non sectaire et ses analyses, claires et impartiales, par exemple des résultats électoraux à la télévision. Il était capable de s’adresser à un large public et de rendre accessible ce qui est complexe. Il est in fine un monument par son legs intellectuel et sa rigueur académique. Il l’est par tout ce qu’il nous laisse, sa capacité à nous inspirer et tous ceux qui ?uvrent aujourd’hui à son image. Il a changé la vie de plus d’un. Les étudiants, il en a accompagné beaucoup, il en a conseillé sans rel?che et il a su aussi leur montrer la voie. ?tre une sorte de maillon dans une chaine était pour lui important. Et il le faisait avec raffinement et dignité. Il a su donner des armes et l’attrait pour une matière et, pour certains, pour une carrière universitaire. Il aimait et respectait profondément les étudiants. Lors de sa dernière surveillance d’examen, il exprima le souhait de rester seul avec les étudiants. Il a pu savourer ce temps particulier des dernières minutes avec ceux pour qui l’on est là et l’on est prêt à donner sans compter afin de tracer un chemin de vie qui va leur permettre de s’épanouir.
Il était un homme d’engagement pétri de valeurs. Il l’était au sein de l’université. Il l’était en politique. C’était un esprit libre et un serviteur dévoué, honnête, loyal, fidèle, avec vissé au corps le sens du devoir.
Un engagement au service de la collectivité et de la vie politique
Parallèlement à sa carrière universitaire, le doyen René Chiroux s’était investi avec passion dans la vie politique et associative. Il était rentré en 1965 au Centre démocrate. Il en était devenu, en alternance avec ma?tre Jean-Paul Chapus, président et secrétaire général. Il était entré ensuite à l’Union pour la démocratie fran?aise et au Centre des démocrates sociaux. Il a mené une carrière politique au service de la région Auvergne et de son président Valéry Giscard d’Estaing. Vice-président du conseil régional d’Auvergne, il s’est notamment investi dans l’éducation, l’enseignement supérieur et la jeunesse. Il a aussi créé et porté, avec Jeanne Audollent, chargée de mission auprès du cabinet du président, le conseil régional des jeunes pour la région Auvergne. Plusieurs jeunes de ce premier conseil de 47 membres sont devenus des citoyens et des personnalités politiques engagés. Le pari a été relevé avec succès. Et le doyen René Chiroux a accompagné ces jeunes dans toute l’Auvergne, à Strasbourg et à Bruxelles. Transmettre et former avec passion était aussi sa détermination dans son engagement politique.Homme de conviction, il a toujours placé l’intérêt collectif et le respect des valeurs républicaines au centre de ses actions, sans jamais se départir de son indépendance d’esprit. Cette liberté, il la transmettait avec finesse, même dans les moments de tension, comme lorsqu’il improvisait, en pleine grève étudiante, un exposé sur l’utilité de ces mouvements. C’était fondamentalement un esprit libre, très indépendant, qui d’ailleurs souriait en tant que politologue de ne jamais avoir voté pour la personne qui avait été élue à la présidentielle. Ma?tre Jean-Paul Chapus rappelle en se remémorant cette anecdote qu’ ? il était capable de choix libres tout en restant fidèle à sa famille politique ?.
Son engagement était aussi un engagement associatif. Dès les années 60, il a rejoint le conseil d’administration de l’Alliance fran?aise dont il deviendra vice-président. C’était, et jusqu’au dernier jour, pour lui une famille véritable. Avec cette famille, il a drainé de grands noms à Clermont-Ferrand au service de la connaissance, de la transmission et de la promotion de la diversité culturelle. Par son engagement, et tout ce qu’il était, il était un artisan de la francophonie et de la tolérance. Il était un humaniste profondément attaché aux autres. Il était convaincu que les liens humains et intellectuels sont essentiels à la compréhension mutuelle.
Au-delà de ses multiples engagements, le doyen René Chiroux était un homme d’une humanité remarquable. Chaleureux et attachant, il savait être présent et attentif. Pour beaucoup, il incarnait l’élégance dans sa manière d’être, tout en simplicité. Chacun se rappelle sa délicatesse et sa capacité à valoriser.
Il était un homme spirituel, empli de spiritualité et animé par de profondes convictions. C’était aussi un optimiste, tout à la fois respectueux des convenances et capable des émotions les plus subtiles. Il était aussi un homme qui savait tenir son rang en n’oubliant pas ses racines. Il alliait également prudence, oblativité et convivialité. Il avait par ailleurs cette capacité de voguer dans tous les mondes et de construire des ponts entre eux. Il était de ceux qui permettent de créer des liens très forts et de mettre en relation.
Il a été honoré par la République pour ses engagements : officier dans l’ordre la légion d’honneur, commandeur dans l’ordre national du mérite, officier dans l’ordre des palmes académiques.
Il était aussi un amoureux de la vie, de ses parents, de sa famille, des territoires et des terroirs, de sa terre natale, de notre région, du Bourbonnais et de Barberier, un fils et un ami incomparable. L’homme qui était né en 1936, en Algérie, était resté particulièrement attaché à cette terre qui l’a vu na?tre, grandir, soutenir sa thèse et l’a accueilli aussi comme jeune enseignant. En terre auvergnate, dont son père était originaire (celui qui avait été nommé receveur-percepteur à Alger était né à Chareil-Cintrat), il trouvait également des racines fortes et le go?t de la vie locale qu’il étudiait en tant qu’universitaire, qu’il arpentait comme homme politique qui s’est par exemple présenté aux législatives avec Danièle Demure, avocate, adjointe à la mairie de Moulins et conseillère régionale, à la demande de Valéry Giscard d’Estaing. Il s’est donné à l’Université et à la région et plus encore à Valéry Giscard d’Estaing dont il était l’ ? homme de confiance ?. C’était un fidèle absolu, un conseiller, un homme tout en tact et consensuel tout en étant ferme sur ses positions.
C’était un intellectuel curieux et qui avec l’aide de sa dame de compagnie, Mylène Laskowski, lors de ses dernières années, s’est toujours tenu au courant de l’actualité. Il était insatiable de connaissances du monde et d’autrui, vif d’esprit, d’une intelligence et avec une mémoire prodigieuse. Alors qu’il avait perdu la vue, il conservait toujours cette même curiosité et cet appétit politique, universitaire, intellectuel et amical. Celui que tout le monde appelait ? Monsieur le doyen ? et que quelques-uns, sur son invitation, appelaient ? René ? comptait pour tous et donnait sans compter ce qu’il était.
En rendant hommage au doyen René Chiroux, nous honorons bien plus qu’un très grand professeur ou un doyen. Nous saluons un homme qui a incarné l’excellence, la générosité et l’engagement. Il nous a appris que l’université et la région trouvent leur force dans l’ouverture et l’ambition, dans le respect de chacun et le sentiment d’appartenance. Celui qui aimait tant débattre savait que la joute doctrinale et celle politique se gagnent dans le respect de l’autre. Lui rendre hommage, c’est dans nos missions porter les valeurs qu’il représentait. Il était un serviteur dévoué et plein d’humanité. Juliette Moyer évoque en parlant de lui d’ ? un concentré d’humanité ?. Il nous laisse un héritage précieux : celui de toujours viser l’excellence dans nos missions, avec élégance, respect, dignité et simplicité.
Florence FABERON
Professeure de droit public à l’INSPE Clermont Auvergne, membre du CMH, référente Défense et citoyenneté de l’UCA